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Les éléments de caractère du parc national des Écrins


Étendu sur plus de 270 000 ha et s’élevant de 667 à 4 102 m, le massif des Écrins est un massif de haute montagne à la fois vaste et vertical. Sous influences méditerranéenne au Sud et continentale au Nord, coiffé de hauts sommets aux flancs couverts de neiges éternelles miroitant entre des faces vertigineuses, ce massif et les vallées qui l’incisent sont, depuis la préhistoire, occupés par les hommes. Au fil du temps, ceux-ci les ont façonnés en une mosaïque de paysages, où chacun est à la fois influent et dépendant de son milieu.

 

Le massif des Écrins opère la transition entre les Alpes du Nord et celles du Sud, entre la chaîne centrale des Alpes françaises et les Préalpes. Cette particularité fonde un territoire d’une grande diversité, où chaque vallée possède son identité propre.

 

Le cœur du massif est âpre, sévère même, mais aussi porteur de valeurs universelles comme l’humilité, l’effort, le travail, l’humanisme, la solitude, la conquête et le plaisir. Cette rudesse contraste avec les grandes vallées ensoleillées du bassin durancien.

 

 

Un territoire aux multiples identités

 

 

 

Passer le col du Lautaret, grandiose dans son face-à-face avec la Meije et voie de passage historique, quitter la Haute Romanche et basculer dans l’air sec et limpide de la Guisane, c’est entrer pleinement en République des Escartons. Le mélèze règne en maître dans le Briançonnais où l’on vante trois cents jours de soleil par an.

 

 

Dès le Moyen-Âge, les seigneurs du Dauphiné laissèrent à leur peuple une indépendance dont celui-ci usa pleinement pour commercer avec le Piémont italien voisin. De ce dernier, il reçut une influence artistique que les cadrans solaires de Zarbula et l’ornement des chapelles en Vallouise illustrent magnifiquement. Dominées par la masse imposante du Pelvoux, drainées par les eaux provenant des glaciers les plus emblématiques du massif, les vallées de la Vallouise témoignent du face-à-face de l’homme et de la montagne. La barre des Écrins, en toile de fond, se dérobant aux regards...

 

 

Les versants de l’Embrunais et leurs villages en balcon évoquent déjà une ambiance méridionale, quelques arpents de vigne signant encore le paysage. Cette large vallée de la Durance fut, tour à tour, lieu de passage de la Via Cottia (voie romaine reliant l’Italie à l’Espagne construite sous l’empereur Auguste) et rivière acheminant par flottaison les bois de Boscodon jusqu’en Provence. Elle se dota du chemin de fer en 1883. Stratégique, le sillon de la Moyenne Durance favorisa l’implantation du pouvoir à Chorges (capitale des Caturiges), puis à Embrun (archevêché).

 

 

La façade occidentale du massif est irriguée par le Haut Drac qui, dans la partie amont de son cours, est l’une des dernières rivières alpines dont le cours présente encore un « tressage » naturel. Les pluies que les Préalpes dauphinoises n’auront pas interceptées font du Champsaur une terre fertile et agricole. Le bocage de montagne des entrées de vallée, opulent de verdure et de villages, s’ouvre aisément au regard du visiteur, tandis que les versants abrupts du Valgaudemar imposent une découverte plus engagée.

 

 

Les massifs forestiers du Valbonnais ont favorisé l’implantation des bûcherons et des scieries, qui utilisèrent très tôt l’énergie hydraulique. Avec l’ordonnancement de ses champs fauchés et de ses haies taillées, la vallée de la Roizonne traduit bien le travail et l’attachement des hommes à leur terre.

 

 

Passé le col d’Ornon, voici l’Oisans, imposant le contraste entre les cimes englacées et la verte plaine du Bourgd’Oisans dominée par des falaises abruptes. Pénétrant profondément au cœur du massif, la vallée du Vénéon - avec la Bérarde en point d’orgue - est comme un livre ouvert sur la haute montagne et l’histoire de l’alpinisme. En Haute Romanche, les vastes alpages du plateau d’Emparis ont attiré les éleveurs de Provence et généré, là aussi, d’intenses échanges économiques et culturels, y compris avec les voisins savoyards.

 

 

La transhumance des troupeaux et de leur berger fut aussi l’occasion - la porte de sortie - pour les

«gens d’en haut» de développer le colportage dans de nombreuses régions de France, voire bien au-delà. Pour bon nombre d’agriculteurs des hautes vallées, ce furent souvent des voyages sans retour - parfois couronnés de succès - en Amérique ou ailleurs.

 

 

Les populations montagnardes doivent leurs richesses et leur diversité à la nécessité de s’adapter à un environnement où rien n’est jamais gagné d’avance. Le progrès est dans l’adaptation aux contraintes. Aujourd’hui encore, les hommes cherchent de nouveaux horizons, dans d’autres modes de développement où le tourisme prend une part prépondérante.

 

 

Ce territoire fut convoité par les« voisins », conduits naturellement par les corridors que constituent les vallées.Inversement, Marseille, Grenoble et Turin ont accueilli l’exode rural du XXe siècle. Les paysans sans terres ont souvent « pris la descente » et changé de métier pour aller vivre en ville. Bon nombre d’entre eux, voire leurs descendants, ont gardé des racines - une maison ou un jardin - dans leur vallée. D’autres, un simple attachement au massif.

 

 

Plutôt fidèles, les visiteurs ponctuels ou réguliers venus des villes vont jusqu’à multiplier par dix la population locale, selon les saisons. Les bourgs et villages, les sommets même, sont devenus des lieux de confluence sociale où sédentaires et migrants partagent, défendent et inventent ensemble la société de demain.

 

 

La mise en valeur du territoire et de ses ressources naturelles - dont celles du sous-sol - a modelé les paysages.L’industrie a façonné les vallées et apporté les migrants, avec la « houille blanche » utilisée pour l’hydroélectricité, les grands barrages du Chambon ou de Serre-Ponçon, les usines d’aluminium de Livet-et-Gavetou encore L’Argentière-la-Bessée (aujourd’hui reconverti vers le tourisme vert et l’eau vive). Avec ses mines decharbon puis sa reconversion économique, le bassin industriel de La Mure marque de son influence le Valbonnais.

 

 

La diversification vers le tourisme hivernal a conduit à la création d’une douzaine de stations touristiques, du stade de neige d’intérêt local aux grandes stations de réputation internationale. Intégrée à la vie locale, cette« couronne » de stations ceint le cœur du massif jusqu’à le toucher, dans une dualité et une complémentarité assumées.

 

 

Un coeur cristallin préservé

 

 

 

Le cœur du territoire est souvent dissimulé. Ses difficultés d’accès et de visibilité, associées à l’altitude et à la verticalité, sont essentielles pour saisir le caractère du parc. Des générations successives se sont efforcées de gommer les handicaps naturels - sans y parvenir totalement - soulignant ainsi l’humilité des hommes. Ce pays est pentu, élevé, minéral, avalancheux et glaciaire. Les vallées encaissées pénètrent jusqu’au coeur cristallin du massif, dont la traversée n’est possible qu’à pied, en altitude. Il faut le plus souvent en faire le tour. Le centre du territoire, semblant ainsi se dérober à la vue et à l’approche, possède une forte originalité, entre monde minéral et monde pastoral. Certains vallons restant encore très peu fréquentés, la quiétude des lieux contribue à faire du cœur un vaste espace de ressourcement.

 

Les glaciers ont sculpté le paysage et, même en recul, confèrent au cœur du massif cette ambiance si poignante de haute montagne. Les cimes vertigineuses ont suscité l’orgueil des premiers « conquérants de l’inutile », forgeant ainsi une part emblématique de l’histoire mondiale de l’alpinisme. Qui, mieux que le Père Gaspard, berger du Vénéon devenu guide, conquérant la Meije en 1877 avec Emmanuel Boileau de Castelnau, peut symboliser l’époque pionnière de l’alpinisme qui trouve ici l’un de ses territoires les plus mythiques ?

 

 

Ce cœur caché et sauvage ne se dévoile vraiment qu’après une cour assidue. Mais quelle aventure émotionnelle et esthétique ! La pratique de cet espace est une expérience personnelle riche et simple à la fois. L’approche progressive des sommets est possible via des vallons glaciaires restés sauvages et silencieux (Bonnepierre, Étages,Mariande, Glacier noir, Chardon, fond du Grand Tabuc).

 

 

Toutefois, le cœur du massif ne se réduit pas à un espace minéral et glacé. Les alpages sont des « inventions » de l’homme, pasteur depuis plus de 6 000 ans. Ce patrimoine méconnu, fruit de l’occupation des hommes en altitude, se traduit dans les « carbones » du vallon de la Mariande, les vestiges d’habitations de celui de la Lavey, les cabanes de Surettes ou encore les granges de la Terce.

 

Les hameaux de Confolens, gagnés sur l’espace forestier,et les terrasses de La Grave qui font face au cœur illustrent la longue histoire rurale et pastorale du massif. Les hameaux de Dormillouse, isolés dans leur vallon suspendu, sont l’incarnation de la notion de « refuge » dérobé à la vue, témoins cruciaux de l’histoire des Vaudois.

 

Une diversité du vivant à hauteur de celle des paysages

 

 

La diversité locale des espèces résulte, entre autres, d’un équilibre fragile entre climat, sol et usages. Ainsi, peut on apprécier la reine des Alpes aux lisières forestières, les sabots de Vénus en plein bois, les adonis dans les cultures, la bérardie laineuse sur les fins éboulis alpins, la potentille du Dauphiné vers l’ouest. De même, dans le règne animal, aigle royal, lagopède alpin, rosalie des Alpes, chouette chevêchette sont symboles de rareté et n’ont d’avenir que dans le maintien des espaces qu’ils affectionnent. De nombreuses espèces reliques des âges glaciaires vivent ici, comme retranchées en altitude. Le chamois, espèce emblématique du massif, a reconquis les versants depuis la création du parc national. Connecté avec les massifs préalpins de l’Ouest et du Sud, au sein de l’arc alpin, le patrimoine naturel du parc national des Écrins doit disposer des corridors favorisant ses échanges, comme l’homme a su le faire sur les sentiers, chemins, routes et voies ferrées.

 

 

Malgré sa rudesse, les hommes ont investi et occupé ce territoire il y a des millénaires, gagnant la terre sur la pierre. Les paysages témoignent de ce travail obstiné à cultiver, s’abriter ou se loger, assurer sa subsistance. Si la notion de diversité caractérise le patrimoine naturel des vallées des Écrins, elle est aussi la plus appropriée pour qualifier le patrimoine culturel (patrimoine architectural et « paysage construit »).

 

 

Habiter la montagne, c’est construire dans la pente avec des matériaux prélevés sur le site. Une « architecture de cueillette » qui repose sur les savoir-faire et techniques traditionnels. Au-delà de cet héritage universel, l’habitat se différencie dans chaque vallée. Il ancre ses spécificités dans une tradition culturelle locale et des réalités géographique et géologique particulières. Ici, dominent les tufs dans les fenêtres et les chaînes d’angle. Là, les calcaires bleus, taillés et appareillés, viennent souligner et distinguer l’espace dévolu aux hommes dans ces grandes bâtisses aux usages multiples. Cette architecture du quotidien, patrimoine ancestral d’une culture agropastorale, perdure et forme la toile de fond d’un territoire à découvrir et à comprendre.

 

Un parc national fédérateur des identités "valléennes"

 

Dès 1913, se concrétisait ici - pour la première fois en France - la notion de « parc national ». Ce premier parc s’étendait alors aux montagnes sauvages des fonds de vallée du Valgaudemar, de la Vallouise et du Vénéon, autour de terrains acquis par l’État au titre de la « Restauration des terrains en montagne ». Cette initiative pionnière fut le germe d’un parc plus vaste qui verra le jour en 1973.

 

 

L’identité « Écrins » s’est forgée progressivement, en lien avec l’émergence du parc national des Écrins. Celui-ci est ainsi devenu l’une des composantes du caractère du massif, à la fois lieu de réflexion, d’innovation, d’initiation, de défense des diversités patrimoniale, sociale et culturelle. Cette identité fédératrice autour du cœur du massif vient se conjuguer aux identités plurielles des vallées rayonnantes.

 

 

 

 

 

 

Last update:
19-05-2020 15:42
Author:
Olivier Caligari
Revision:
1.7
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